Naissance du design

Design

Le design tel qu'on l'entend dans son acception de projet dessiné utilisant des techniques innovantes pour une diffusion large, existe depuis l'Antiquité. Les châsses-reliquaires limousines au Moyen Âge étaient réalisées avec des décors stéréotypés à l'aide de la technique de l'émail champlevé plus efficace que celle du cloisonné et ont été produites à des milliers d'exemplaires pour être exportées dans toute l'Europe. Les Lumières puis la révolution industrielle introduisent tous les aspects qui seront caractéristiques du design : rationalisation, reproduction à bas coût/bon marché, interchangeabilité, motorisation/mécanique, coque/emballage, démontable/kit, etc., en plus de domaines générateurs de nouveaux usages (communication, bureautique, transports aérien, ferroviaire et automobile, tourisme, industrie du luxe...) et de nouvelles technologies. Quelques objets catalysent déjà le design industriel tel qu'on le connaîtra au xxe siècle. À partir des années 1840, le Viennois Michael Thonet développe un procédé de fabrication, le cintrage de bois de hêtre massif, courbé sous pression à vapeur. Sa Chaise n° 14 dite chaise « bistrot » devient une référence, vendue à 50 millions d´exemplaires entre les années 1859 et 1914. Cependant, il s'agit encore là de réalisations exceptionnelles.

Une nouvelle dimension apparaît dans le design au milieu du xixe siècle : l'originalité (ou créativité). Si les aspects constitutifs du design sont en place, il en va alors tout autrement des formes, qui restent pour la plupart du temps attachées à la copie de style du passé ou éclectisme. Cette copie confine souvent à l'amalgame de mauvais goût. C'est en réaction contre cette dérive que naît le mouvement Arts and Crafts en Angleterre au milieu du xixe siècle sous l'égide du critique d'art John Ruskin et de l'écrivain, peintre, décorateur et théoricien William Morris. En 1888, commencent les premières expositions du groupe. Morris et ses amis veulent créer des formes nouvelles en accord avec la fonction des objets et prônent le retour au Moyen Âge et aux motifs inspirés par la nature : à la culture médiévale, ils empruntent la notion de travail collectif issu des corporations, le rationalisme gothique qui offre une simplification des lignes, et l'union des artisans et des artistes ; dans la nature, ils puisent des nouvelles sources d'inspiration et des principes de stylisation. La création d'une entreprise et la commercialisation sont un succès. D'autres groupes Arts and Crafts se créent en Angleterre et de par le monde, qui n'entreprennent pas pour autant de dénoncer le côté aliénant et inhumain de l'industrie comme le fait William Morris. Bien que la notion de design chez William Morris reste encore liée aux arts décoratifs, il apparaît comme une figure fondatrice du design en raison de l'importance de la recherche d'une créativité dans ses produits.

La créativité quitte la figuration pour l'abstraction des formes avec le Second Art Nouveau, dans les premières années du xxe siècle. Entre 1905 et 1911, Josef Hoffmann élève le palais Stoclet, somptueuse villa urbaine conçue à Bruxelles comme une œuvre d'art totale pour le compte d'un financier belge. Charles Rennie Mackintosh et Frank Lloyd Wright, à la même époque, posent les bases des lignes épurées et simplifiées qui vont devenir le synonyme de « design », en construisant villas et mobilier pour une bourgeoisie libérale américaine ou écossaise avide de nouveautés. Le design industriel apparaît en Allemagne au début du xxe siècle. Dès 1907, l'architecte Peter Behrens est engagé comme consultant artistique pour la firme d'électricité AEG. Directeur d'une agence de design « intégrée » au sein de la firme, il réalise le premier design industriel global : usine de turbines, catalogue des produits, objets électriques, logo, etc. Il établit la profession de designer comme profession libérale, au même titre que celle d'ingénieur, d'architecte, d'artiste, etc. Véritable pionnier, son bureau de style attire l'attention de créateurs et d'architectes, dont le jeune Le Corbusier. Behrens met en place un langage des formes efficace, à la fois simple, moderne et esthétique, qui adapte les conceptions artistiques du Second Art Nouveau à l'univers du produit industriel. Il jette ainsi les principes du fonctionnalisme. Le fonctionnalisme Le fonctionnalisme est une doctrine esthétique qui peut se résumer par la célèbre expression de Louis Sullivan, « la forme suit la fonction »10. Né à la fin du xixe siècle, il engendre l'école de Chicago, puis le Deutscher Werkbund, les Wiener Werkstätte ainsi que le Bauhaus. Pour Louis Sullivan, le fonctionnalisme est le résultat d'une observation et d'une compréhension des processus évolutionnistes de la nature. Chaque forme a une nécessité, il n'y a pas de superflu dans la nature bien qu'elle soit « séduisante ».

Bien que le concept fonctionnaliste paraisse très simple, il y a eu beaucoup de divergence sur les interprétations et en particulier sur la définition de la fonction. C'est ainsi que rationalistes (« la fonction, c'est ce qui est utile ») et expressionnistes (« les émotions sont aussi une fonction ») se revendiquent également fonctionnalistes. Le fonctionnalisme domine le design moderne jusqu'à sa remise en cause par certains post-modernes à partir de 1968. Le Bauhaus et les années 1920

La Cuisine de Francfort, 1926 En 1919, Walter Gropius, dans le Manifeste du Bauhaus, annonce le but de ce mouvement en ces termes : « Le but final de toute activité plastique est la construction ! […] Architectes, sculpteurs, peintres ; nous devons tous revenir au travail artisanal, parce qu’il n'y a pas d'art professionnel. Il n’existe aucune différence essentielle entre l’artiste et l’artisan. […] Voulons, concevons et créons ensemble la nouvelle construction de l’avenir, qui embrassera tout en une seule forme : architecture, art plastique et peinture […] »11 Le Bauhaus a été une formidable pépinière de talents et un extraordinaire outil de la promotion d'un modernisme « progressiste »12 qui, contrairement au modernisme conservatif, n'hésite pas à mettre les mains dans le cambouis de la production de masse. Citons, parmi les designers de premiers plans qui relèvent ou se réclament de ce mouvement moderniste, Ludwig Mies van der Rohe, Marianne Brandt, Marcel Breuer, Le Corbusier et Charlotte Perriand, le néerlandais Gerrit Rietveld, auteur d'une célébrissime chaise cubiste. Les régimes totalitaires (rappelons que l'un des premiers gestes des nazis une fois arrivés au pouvoir, est de fermer le Bauhaus) ne sont pas antithétiques avec le design : Giuseppe Terragni pour l'Italie, Lazar Lissitzky et Alexandre Rodtchenko13 pour la Russie, illustrent le versant « social » du design : offrir des beaux objets au plus grand nombre de consommateurs possibles. Plus au nord, la Scandinavie fait preuve d'un extraordinaire regain de créativité illustré par Alvar Aalto en Finlande et Bruno Mathsson en Suède ou Wilhelm Kage en Norvège.

Grande crise et années 1930 Avec les années 1930, la créativité et la théorisation du design traversent l'Atlantique. Raymond Loewy écrit « la laideur se vend mal » et propose de donner une valeur esthétique et symbolique forte aux objets manufacturés pour relancer l'économie. Outre la Cadillac, la bouteille pour Coca-Cola, il dessine aussi le paquet de cigarettes des Lucky Strike et fait apparaître la marque déposée et le logo publicitaire sur les deux faces du paquet. La marque sera identifiable sur tous les paquets jetés dans la rue. Loewy n'est pas isolé, Walter Dorwin Teague, Wells Coates, Russel Wright ou Henry Dreyfuss représentent cette créativité américaine qui s'affirme et à laquelle l'industrie du pays offre de larges débouchés. De son côté, Jacques Viénot théorise l'esthétique industrielle au travers de « lois » qui fondent encore à ce jour l'Institut Français du Design.

La foire internationale de New York ouvre ses portes en avril 1939 pour célébrer la confiance regagnée après des années de crise, les designers américains sont à l'honneur dans cette exposition universelle qui accueille - avec un sens du temps malheureux - « le monde de demain ». Lorsqu'elle ferme ses portes, la Seconde Guerre mondiale a éclaté et les efforts des designers pour rendre le monde un peu plus beau, un peu meilleur, sont relégués au second plan. Après-guerre et design organique La période d'après-guerre que Penny Sparke12 appelle le néomodernisme présente une large adoption par les designers des deux bords de l'Atlantique de formes fluides, rondes, souples et qui vaut au design d'être qualifié d'« organique ».

Alvar Aalto instaure dans ses réalisations de mobilier le procédé du lamellé-collé de bois déjà utilisé dans l'architecture depuis le début du xxe siècle. Au niveau des matériaux, le tube d'acier, omniprésent dans le design des années 1930, se voit remplacé par les plastiques. De Scandinavie viennent aussi Arne Jacobsen et sa fameuse chaise Fourmi ou son fauteuil Œuf, Eero Saarinen et sa chaise Tulipe alors que les formes totalement organiques du terminal TBWA de l'aéroport international John-F.-Kennedy (1956-1962) séduisent le public. Le céramiste et verrier Kaj Franck, l'ébéniste Hans Wegner, le touche-à-tout Tapio Wirkkala complètent la série de l'éclosion artistique scandinave. Parmi les designers de cette époque phare - les fifties américaines battent leur plein - mentionnons les Américains Charles et Ray Eames ou George Nelson. Eliot Noyes, actif auprès d'IBM, donne une forme organique et sympathique aux machines à écrire produites pour la bureautique - on lui doit aussi le pavillon IBM lors de l'Expo 1964 à New York.

Les Italiens Gio Ponti, Carlo Mollino, Marcello Nizzoli accompagnent le boom de l'industrie italienne de l'après-guerre et créent les icônes de La Dolce Vita : vespa, machine à expresso, belles carrosseries, etc. On doit à Flaminio Bertoni les lignes des Citroën depuis la Traction Avant en passant par la 2CV jusqu'à la DS. En Allemagne, la tradition artistique issue du Bauhaus renaît avec la Hochschule für Gestaltung Ulm. Parmi les designers allemands de cette période, citons Hans Gugelot, Dieter Rams prend la direction artistique des produits Braun GmbH.

Au Royaume-Uni, Ernest Race crée un style « moderne », l'équivalent pour le design du New Look de Christian Dior, immédiatement repris dans toute l'Europe. Robin Day et sa femme Lucienne, nous ont laissé des textiles au style fifties immédiatement reconnaissables. Douglas Scott dessine le bus rouge à impériale, devenu depuis l'une des icônes anglaises. Le Japon, autres puissances industrielles de cette époque, ne nous ont pas laissé de designer de premier plan, mais le design, anonyme, produit par les équipes de sociétés comme Sony témoigne d'un fort professionnalisme dans ce pays.

Après-guerre du « Modernisme conservation » Dans son livre 100 ans de design12, Penny Sparke crée cet oxymore à propos de ces grands artistes de l'entre-deux-guerres, certes producteurs de lignes épurées et adeptes du modernisme, mais qui ne sont pas, pas plus hier qu'aujourd'hui, considérés comme des designers. Ce qui les rassemble ? Ils créent des pièces uniques mariant des matériaux modernes et matières luxueuses traditionnelles, pour une clientèle richissime. Citons parmi ces modernistes conservatifs largement célébrés lors de l'Exposition des Arts Décoratifs, les décorateurs-ensembliers français Jacques-Émile Ruhlmann et Jean Dunand, ce dernier surtout célèbre pour ses laques, ou Eileen Gray, Anglaise active essentiellement à Paris. Ailleurs, l'Autrichien Josef Frank ou l'Américaine Sylvie Maugham font, dans leurs pays respectifs, envie aux classes moyennes qui voient dans les premiers magazines de décoration, leurs réalisations. Cet exemple nous rappelle qu'il y a toujours eu une controverse sur la définition de designer, en particulier en France. Tout d'abord, parce que le terme n'est pas protégé, ce n'est ni un statut ni un métier officiellement reconnu par l'administration.

1960-1980, autocritique du design et réinvention poétique Entre 1961 et 1974, le mouvement anglais Archigram, mené entre autres par Peter Cook, développe une architecture sans fondation, purement théorique, et édite une revue d’architecture. Ses membres réagissent à l'ère de la consommation et développent un travail portant sur le pop art, les mass media et l'électronique. À la fin des années 1960, parallèlement au mouvement d'architecture radicale (ou design radical), l’antidesign, porté par les œuvres de Joe Colombo, repense l'habitat à partir du design et contre les formes hiérarchiques de l'architecture. « La capsule insiste sur sa stupéfiante concordance avec l'émancipation disciplinaire du design à la fin des années 1960 quand il tente de se libérer de ces tutelles historiques pour s'imposer comme une discipline idoine de l'habitat. Cette position est notamment illustrée par l'œuvre de Joe Colombo. Il invente les conditions d'une vie quotidienne moderne en correspondance avec le monde dans un rapport harmonieux espace-temps et invite ses pairs à repenser complètement l'habitat à partir du design. »14 L’agence italienne Archizoom, est fondée en 1966 à Florence en Italie par Andrea Branzi, Gilberto Corretti, Paolo Deganello, Massimo Morozzi, Dario Bartolini et Lucia Bartolini. Le groupe Superstudio est fondé en 1966 à Florence en Italie par Adolfo Natalini et Cristiano Toraldo di Francia. Natalini écrit en 1971 : « si le design est plutôt une incitation à consommer, alors nous devons rejeter le design ; si l'architecture sert plutôt à codifier le modèle bourgeois de société et de propriété, alors nous devons rejeter l'architecture ; si l'architecture et l'urbanisme sont plutôt la formalisation des divisions sociales injustes actuelles, alors nous devons rejeter l'urbanisation et ses villes… jusqu'à ce que tout acte de design ait pour but de rencontrer les besoins primordiaux. D'ici là, le design doit disparaître. Nous pouvons vivre sans architecture. » Le Groupe de Memphis est fondé par Ettore Sottsass en 1980, le mouvement est une réaction au style international, marqué par une production humoristique et poétique.

Droog Design est découvert au Salon international du meuble de Milan en 1993 dans l'exposition off de la Design Academy d'Eindhoven. Caractérisé par une impertinence, une approche critique et décalée, les productions font souvent figure de manifeste. C'est une fondation dirigée par l'historienne d'art Renny Ramakers et le designer Gijs Bakker, tous deux originaires des Pays-Bas. Droog Design se définit comme un label et regroupe des designers internationaux convergents sur cette même approche (Jan Konings, Jurgen Bey, Marcel Wanders, Tejo Remy, Piet Hein Eek...) Ce mouvement est avant tout un pied de nez au design institutionnalisé, aux formes fluides et fonctionnelles. Ce groupe est très lié aux idées des années 1960-1970, notamment le design radical. Le phénomène a véritablement ouvert une brèche dans les enjeux de la discipline et dans nos références culturelles. Le design-fiction et le design spéculatif Promu notamment par l'essayiste Julian Bleecker dans Design fiction: A Short Essay on Design, Science, Fact and Fiction (2009), par l'écrivain de science Fiction Bruce Sterling, ou encore par des théoriciens tels qu'Alexandra Midal et Nicolas Nova, le design fiction imagine les usages et les objets du futur en fonction de paramètres prospectifs, spéculatifs, lorsqu'ils ne sont pas résolument utopiques. Des institutions telles que le Royal College of Art de Londres, l'école d'architecture et de design de l'Université de Greenwich, la Haute école d'art et de design de Genève, ou encore le MIT accueillent des enseignants et des étudiants intéressés par le design-fiction. Disciplines et sous-disciplines du design Le designer se caractérise de l'artisan par le fait qu'il n'est pas spécialiste d'une matière (bois, métal, plastique, etc.), du technicien par le fait qu'il n'est pas spécialiste d'une technique et de l'ingénieur par le fait qu'il traverse les domaines du savoir de façon transversale. En cela, on peut le rapprocher du chef d'orchestre ou du réalisateur au cinéma. Le design se conçoit comme une navigation permanente entre l'unité et le global, entre la pensée (dessein) et la pratique (dessin). En cela, on peut rapprocher cette démarche de celle de la pensée complexe et de la systémique. Le design ne consiste pas à accumuler des savoirs, mais plutôt à créer, par la compréhension, des liens logiques entre des choses (flux, concepts, images, symboles, etc.). Bien que le design soit par essence non-spécialisé et couvrant des domaines très variés, une tendance à la séparation en sous-disciplines s'est faite progressivement en raison : du paradigme occidental actuel fondé sur la disjonction (au xviie siècle) et la spécialisation ensuite (xixe siècle) pour servir une volonté de maîtrise. de la réalité professionnelle en entreprise qui exige davantage une spécialisation par domaine. D'où, une tendance pour les écoles professionnalisantes de sectoriser leurs formations.

d'une tendance à une définition de « design » anglo-saxon pour des métiers déjà existants : scénographie se nomme de plus en plus design d'espace. Essentiellement, pour des raisons de valorisation. Game design est préféré pour les mêmes raisons à infographie. Ce dernier point n'est pas valable pour le Canada francophone, où la tendance aux anglicismes est combattue âprement par l'élite intellectuelle et artistique, grande créatrice et consommatrice de design. d'une certaine confusion : initialement[réf. nécessaire], il y a une distinction entre le design graphique (pratiqué par un designer pour servir un design global) et le graphisme, une discipline autonome qui possède sa propre histoire remontant aux premières traces de l'homme dans les grottes de Lascaux.[réf. nécessaire] et des nouveaux terrains du design nécessitant de nouvelles formulations : design sensoriel, motion design, parametric design, etc. Les séparations se font par : finalité typologique : design d'espace, design produit, motion design, design graphique, design sonore, web design, design transport. Ce sont les sous-disciplines classiques fondées sur la spécialisation, et l'acquisition de savoir et d'outils propres à chaque domaine. La finalité de ces sous-disciplines est essentiellement de l'exécution. mode d'action, d'intention ou de processus : design industriel, Écoconception, Design pédagogique, Design interactif & numérique, Design stratégique, parametric design, design de recherche, design d'auteur.

Fondés davantage sur un positionnement et une stratégie de création. Les compétences sont centrées davantage sur la réflexion que sur les acquis. Design d'auteur et design industriel Dès le début de l'histoire du design, on remarque deux grandes visions (deux idéaux qui correspondent aux idéologies dominantes) qui s'opposent et se croisent tout au long du xxe siècle. On peut ainsi situer le design entre ces deux extrêmes : D'un côté, il y aurait un design d'auteur : privilégiant un travail à taille humaine, une proximité avec des artisans ou techniciens très qualifiés de différents métiers. Le savoir-faire (et donc sa sauvegarde) a une grande importance. Les pièces réalisées en petites séries sont souvent très onéreuses, car le travail (savoir-faire) a un prix. La pièce finale n'aurait pas pu exister indépendamment de l'ouvrier. On peut le rapprocher du mouvement Arts & Crafts de William Morris. C'est un design qui est du côté de la réalisation et qui définit le citoyen davantage comme un travailleur15. De l'autre, il y aurait un design industriel : agissant au sein d'une entreprise, ce design collectif se situe en amont du projet,

c'est-à-dire dans la phase de conception. les produits sont tirés en grande série pour diminuer les coûts initiaux des moules de fonderies, d'injections, de presses, etc. La quantité de matière et les procédés de fabrication sont optimisés pour aboutir à un produit au plus économique. Au moment de la production, un employé sans qualification est suffisant, pour réduire là aussi les coûts. La pièce existe indépendamment des employés, car ils sont interchangeables. C'est un design qui conçoit, qui projette. C'est un design qui est du côté de la conception et le citoyen se définit davantage comme un client. Le design et les beaux-arts Le design a longtemps été défini, en particulier par les académiciens, comme relevant des arts décoratifs, mis au rang des arts mineurs, en raison d'une pratique asservie à quelque chose : au mobilier, à l'espace, à l'industrie, à une fonction, etc. La distinction entre arts mineurs et arts majeurs remonte à la Renaissance, lorsque les artistes ont proclamé leur travail cosa mentale,

c'est-à-dire « chose de l'esprit », autrement dit relevant des arts libéraux comme la musique, la poésie ou les mathématiques et non des arts mécaniques qui s'exercent par la main et relèvent des corporations. Ils ont, à cette fin, multiplié les marques de similitude à l'aide d'études sur la perspective et l'anatomie, voire l'ingénierie comme Léonard de Vinci et la production de poésie comme Michel-Ange. Pour obtenir cette reconnaissance, ils sont rapprochés avec succès des prince-mécènes afin d'entrer dans leur cour, où figuraient de nombreux savants et littérateurs, et d'obtenir commandes et pensions à l'instar de ces derniers. Au temps de l'humanisme, les artistes étaient polyvalents, c'est-à-dire tout à la fois sculpteurs, peintres et architectes, ce qui a accédé ipso facto ces trois professions au rang des arts libéraux, une fois l'assimilation des artistes obtenue. À la fin du xvie siècle, les académies étaient créées, qui ont accrédité le système et proclamé le dessin, l'architecture, la sculpture et la peinture « arts majeurs » puis « beaux-arts ». Ces pratiques se sont dès lors trouvées retranchées de l'artisanat auquel appartenaient encore le mobilier, l'orfèvrerie, les tapissiers et tisserands, les verriers, les céramistes, etc., qui ont été relégués au rang d'arts mineurs. En cause, leur trop forte implication dans la transformation de la matière et dans le travail manuel, voire dans l'exécution au détriment de l'imagination. L'artisanat d'art se situait aussi en dehors des académies proches du pouvoir puisqu'il relevait des corporations et des manufactures, même si le goût de l'aristocratie pour le luxe a menacé d'effacer la distinction au début du xviiie siècle. Le renforcement des beaux-arts par le Prix de Rome et le Salon a ensuite conforté sa position dominante. Par extension, le design, apparu lors de la révolution industrielle, s'est retrouvé assimilé aux arts mineurs car il traitait, lui aussi, de l'objet, quand il n'était pas tout simplement le fait des artisans eux-mêmes comme Thonet. Une lutte pour la valorisation des arts mineurs et contre la hiérarchie des arts, considérés comme des émanations de l'académisme, s'est engagée, en grand partie sous la houlette de William Morris et des Arts and Crafts. La fin des corporations a facilité également cette recherche de reconnaissance. Les distinctions classiques entre l'art et le design sont encore présentes, comme le souligne Stéphane Laurent (historien) dans un article récent, ce qui n'est pas sans poser de problèmes quant à la reconnaissance culturelle du design16. On oppose ainsi le design à l'art par l'« utilité », car il est au service d'une fonction et n'est pas contemplation « pure », autrement dit dans une approche intellectuelle qui se situerait hors de contingences matérialistes. Au reste, en tant que concepteur d'objets au service de l'industrie, le design est souvent associé aux intérêts mercantiles et au consumérisme. Le design et l'architecture

Une station essence par Jean Prouvé au Vitra Design Museum. Intrinsèquement le design est lié à l'architecture en raison de son importance dans le mobilier, qui est un équipement du bâtiment. L'élaboration d'un projet en design suit un processus proche de l'architecture en raison de la forte implication de la fonction et de la technique dans le processus de création. En outre, la représentation est similaire puisque l'un et l'autre utilisent plans et perspectives. Ces similitudes expliquent que la frontière peut paraître floue entre design et architecture, si bien que nombre d'architectes se sont livrés à la création de meubles, voire d'équipement domestiques comme les appareils d'éclairage. À la Renaissance, Jacques Androuet du Cerceau a livré des modèles de tables tandis qu'Eugène Viollet-le-Duc s'ingéniait au xixe siècle à reconstituer des meubles médiévaux dans un esprit d'art total. C'est en effet le souci de complémentarité entre le tout et le détail, celui d'unité de style ou esthétique, qui poussent nombre d'architectes à dessiner des objets pour les intérieurs. La période la plus prolixe à cet égard est sans doute le début du xxe siècle Ainsi l'Art nouveau avec Hector Guimard, Antonio Gaudi, Frank Lloyd Wright ou Henry Van de Velde, puis le modernisme avec Le Corbusier, Alvar Aalto, Marcel Breuer, Mies van der Rohe ou Eero Saarinen ont livré nombre d'ensembles et de modèles, parfois spécialement élaborés pour un bâtiment précis comme le fauteuil Barcelona de Mies van der Rohe ou bien le mobilier en bois lamellé-collé pour le sanatorium de Paimio par Aalto. Certains designers ont dessiné des meubles en association avec des architectes comme Philippe Starck. En raison de la complexification des techniques et de la spécialisation des compétences, rares sont aujourd'hui les architectes soucieux de transposer leurs recherches dans le mobilier comme Zaha Hadid. Une entreprise de meubles comme Knoll s'est illustrée dans l'édition de meubles d'architectes. En outre, une des composantes du design, à savoir le design d'intérieur, se définit comme une activité créative s'exerçant au sein d'un projet d'architecture ou d'un ensemble existant pour concevoir l'aménagement de l'espace domestique.

Le design et la technique Il y a deux postures face à la technique. On retrouve d'ailleurs ces deux postures dans le monde de la musique avec Pierre Boulez pour le premier et Pierre Schaeffer pour le second.

La première consiste à dire que l'esthétique est dissociée de la technique, que ce sont deux domaines de compétences qui ne doivent pas s'influencer. L'esthétique ayant une prédominance sur l'autre. C'est de loin la plus pratiquée, pour des raisons historiques, car dans cette perspective on considère que l'essence d'un projet se situe dans le concept. Ce qui donne pour conséquence, une non-légitimité aux designers de suivre un projet au-delà des croquis qu'ils proposent. Et dans le même temps de la part de ceux-ci, on obtient des propositions naïves, irréalisables, car ignorant la question de la réalisation. Cependant, dans le cas d'auteurs talentueux, on obtient des réalisations souvent exceptionnelles, qui n'auraient pas pu voir le jour autrement. Le budget nécessaire est supérieur à la moyenne.

pour la seconde, le design (initialement dénommé esthétique industrielle), est une discipline héritière de la pensée esthétique. En ce sens, elle contient forcément la question de la technique. Pour Simondon, la pensée esthétique réunit la pensée technique, celle qui fragmente et analyse et la pensée holistique, contemplative de la totalité. Elle prend la place de la pensée magique via la philosophie. En ce sens, la pensée esthétique (le design) est ce qui manifeste l'incomplétude de nos savoirs et l'insatisfaction des divisions.